73. Nini la classe!

Il est temps pour moi de rendre un hommage saisissant à mon idole de toujours. En effet, hier soir avait lieu la pénible Cérémonie des Césars, du coup ce matin en me réveillant, je me suis dit que c'était l'occasion idéale. D'être saisissante je veux dire. Pas pénible. Je le précise car vous auriez pu vous méprendre. En effet, les hommages c'est souvent barbant pourtant, je tenterai ici d'être captivante tout autant que spirituelle. Vous me direz, renard flatteur que vous êtes, ça ne changera pas beaucoup et  je vous répondrai, corbeau modeste que je suis, c'est vrai, vous n'avez pas tort. Les formalités de courtoisie étant maintenant dûment remplies, il me semble que je peux entrer dans le vif du sujet et débuter mon hommage. 
Je précise avant toute chose que l'objet de mon compliment n'est pas encore trépassé. Je le précise parce que j'ai remarqué qu'on rend plus souvent hommage aux personnes décédées qu'aux personnes vivantes. D'ailleurs, en passant, je trouve ça complètement idiot. N'est-il pas plus appréciable d'être encore vivant pour s'entendre dire à quel point on vous aime, comme on vous trouve formidable et encore tout un tas de jolies choses? Je crois pour ma part, que j'apprécierais mieux qu'on me rende d'éventuels honneurs accoudée au comptoir de La Joie du Peuple un verre de Chirouble à la main que couchée dans un cercueil en mélèze à côtes moulurées. Mais je m'avance peut-être...
Bref. Il s’agit d'une dame. D'une grande dame, même si elle ne mesure que 1m60. Et je l'aime depuis ma plus tendre enfance. Je l'aime, si vous saviez combien! Sa sympathie, son énergie, sa bonne humeur sont de celles qui m'ont donné envie de faire ce métier: Artiste et au cas où vous ne l'auriez pas saisi, le A majuscule, ce n'est pas une erreur de frappe, c'est exprès! 
Et c'est encore une fois grâce à mon Tonton Alain que je l'adule ma Tata Yoyo! Pour ceux qui n'auraient pas lu entre les lignes... Parce que oui, bon, voilà, c'est elle! L'objet de mon admiration sans limite. Un peu chanteuse, un peu danseuse, un peu theâtreuse et surtout beaucoup, beaucoup bosseuse! Annie Cordy! Nini la Chance!
Là bien sûr, il y en a des qui vont me trouver un peu ridicule, voire carrément ringarde, parce que Annie Cordy qui chante Papa banjo, maman violon, c'est pas Barbra Streisand qui chante Papa can you hear me ni Barbara tout court d'ailleurs avec son Aigle noir semblant crever le ciel  à défaut d'autre chose mais je vous prie de croire que moi je m'en balance et comme il faut! Annie Cordy c'est Annie Cordy! La copine à  Bourvil, De Funes, Luis Mariano, qui a chanté Hello Dolly à New York et  Las Vegas! En un mot c'est LA classe!
Quand j'étais petite, à défaut de manger de grosses saucisses chez ma nourrice, mon tonton Alain me chantait Frida Oum Papa à m'en faire mourir de rire! Je répétais "Encore! Encore!" et lui de s'exécuter volontiers! Au point que des années plus tard, dans un vide-grenier il m'a même dégotté le 45 tours ainsi que celui de Jeanne la Tarzane, moins hilarant certes.
J'ai grandi donc en fredonnant joyeusement Tata Yoyo et Cho Ka Kao, quoique pas très sûre d'assumer mes goûts musicaux populaires en public. Je me souviens que dans le XVIème arrondissement, Chantal Goya avait beaucoup plus la cote auprès de mes copines, mais moi j'aimais tellement mieux le sourire de Tata Yoyo sa robe à fleurs et son mégot! Si j'avais pu, je crois que je me serais même habillée tout pareil! C'était les années 80, qui m'en aurait tenu rigueur? 
Annie Cordy, ce sont des chansons, mais c'est surtout le music-hall! Le théâtre qui rencontre la musique qui rencontre la danse qui rencontre la revue... Mais comment mais alors... C'est possible? En France? M.... alors! Oui c'est possible! Même que ça s'appelle fantaisiste et que c'est ça que je veux faire quand je serai grande!!! Sauf que aujourd’hui je suis grande et fantaisiste, c'est plus un métier... C'est un truc vieux et poussiéreux... Plus personne n'en veut. Je lui ai dit à Annie. 
Parce que croyez-le ou non, je l'ai rencontrée Annie! Moi! Ce bonheur!!! Que je vous raconte...
J'ai un copain, c'est pas le dernier des nases vu que c'est le pianiste de devinez qui? Oui, Annie Cordy! En vrai! Le pauvre, depuis que je l'ai rencontré, je l'ai bassiné de toute la puissance de mon amour! "Et elle est comment? Raconte! Dis, elle aime les frites?" Toujours est-il que un jour soit il a eu pitié soit il a voulu me faire plaisir mais il m'a invitée au concert de Annie Cordy et ça a été un des plus beaux jours de ma vie!
Bon, je dois avouer que mes voisins de siège étaient un peu surpris de me voir éclater en sanglots convulsifs dès les premières mesures de Frida Oum Papa. Mais impossible de me contrôler... L'enfance qui revenait d'un coup comme ça sans prévenir, que voulez-vous, ça m'a surpris! Qu'est-ce que j'y pouvais? Rien. Alors je me suis laissée faire. Annie est là, qui chante, danse, fait des claquettes même, à quelques mètres de moi, pour moi et je suis au paradis. Autour de moi, j'entends les rires, je sens l'amour et la tendresse, devant moi je vois les personnages qui naissent et qui meurent le temps d'une chanson, tout comme j'aime! Et bien sûr, voilà que débarque sur scène La bonne du curé qui malgré ses 80 ans au compteur n'a pas pris une ride! Moi, dans la salle, je jubile. Je me dis que 35 ans plus tard, je veux toujours faire ce métier, celui-là précisément!
Je crois que mon cœur va exploser de joie, mais je me trompe car la soirée n'est pas finie. Le concert lui est bien terminé mais sans me prévenir, mon ami me présente maintenant à Annie Cordy! En vrai! De nouveau, l'enfance remonte. Comme dit l'autre, j'ai 10 ans, je sais que c'est pas vrai mais j'ai 10 ans et je pleure, ridicule, devant mon idole sans pouvoir me contrôler... J'ai envie de dire "Annie je t'aime!" Mais heureusement un dernier sursaut de dignité me retient. Je me contente de bredouiller confusément entre deux larmes "Bonjour... Bravo... Merci... " Annie me voit pleurer, elle prend ma main dans la sienne et m'offre un sourire magique et des yeux qui pétillent... Mon ami vient à mon secours... "Annie, c'est Stéphanie, je t'en ai parlé tu sais  Ode à mon cul! Avec elle ta relève est assurée"... Je rougis... Avec les larmes et le nez qui coule, je dois avoir la grâce d'un lamantin! Mais Annie doit aimer les animaux, elle s'en fiche et me serre la main plus fort. "Ah! Alors c'est toi la rigolote? Accroche-toi cocotte, parce que tu sais, y en a plus beaucoup des comme nous! Viens, on va boire un verre!". 
Mon verre à la main, je ne sais pas quoi dire. Et je suis tout sauf rigolote. Devant moi, l'énergie et la bonne humeur de Annie Cordy ont laissé la place à la fatigue de Léonie Cooreman, 87 ans. Je me dis qu'elle doit vouloir se reposer alors je renifle et je prends congé, un peu étourdie par autant d'émotion. 

Ce matin, aux cinémas des Restos du Coeur,  on a projeté Les souvenirs de Jean-Paul Rouve. C'était avec Annie Cordy. J'ai pleuré, j'ai souri, c'était bien. 
En sortant, un bénéficiaire, m'a dit "Vous savez, Stéphanie, c'est comme Annie avec Steph en plus...". Je me suis dit, ça c'est un bel hommage!

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