135. Rioja grande

Tout quitter sur un coup de tête... enfin presque. Passer un test PCR, prendre ses cliques et ses claques, deux ou trois masques, remplir son formulaire de contrôle sanitaire, ne pas oublier le gel hydroalcoolique en flacon de moins de 100 ml et puis se faire la malle. Partir loin ! Là-bas, de l'autre côté du Covid histoire de (re)vivre la vie d'avant le temps d'un weekend. Là où les verres et les rires s'entrechoquent. Là où le soleil est plus doré qu'une tortilla de patatas et le ciel plus bleu qu'un masque chirurgical. Là où l'air est tellement doux que même Mbappe envisage d'aller rejoindre Zizou... Là où tout, même el confinamiento paraît plus beau !  

A peine ai-je posé mes valises que je descends ou plutôt que je me précipite Calle de Alcala. Je n'ai pas encore siroté la moindre gorgée d'un verre de Vermout ou de Sangria que je me sens comme la Périchole, un peu grise pour ne pas dire carrément anthracite. Partout, sur de vastes terrasses, les madrilènes ne vont pas aux arènes voir le torero - ce qui n'est sans doute pas pour leur déplaire, aux taureaux - mais mangent et boivent le plus naturellement du monde. Je regarde ma montre. Caramba ! 20 heures ! Ma qué je n'ai pas d'atestacion ! La nuit tombe sur la Victoire du Metropolis, hâtons le pas avant qu'elle ne m'arrête, la Police (<-- jeu de mots). Vite ! Je me dépêche de remonter vers l'hôtel...  avant de me rappeler que le toque de queda ne commence ici qu'à 23 heures. Je ris - bêtement - sous mon masque et me remets tranquillement en route. Je déambule de paseo en calle en quête du bar parfait. C'est qu'après quatre mois d'abstinence, je ne veux pas me tromper : il n'est pas question de boire un piètre apéro au comptoir du Zanzi Bar. Non. Il s'agit de faire les choses bien comme il faut. Choisir le lieu... la déco... la musique... S'assoir à la bonne table... à la bonne chaise (pour pouvoir observer la salle !)... Après une longue déambulation, je me décide pour l'ambiance toute à la fois chic locale et art déco du Circulo de los Bellas Artes qui me semble plus approprié pour l'occasion que le bar à patatas-tapas graillonasse du coin. J'entre. Dans le hall, derrière un lourd rideau de velours, un camarero en tablier blanc immaculé découpe une épaule Pata Negra qui ne lui a rien fait au couteau. C'est bon signe. Derrière le bar, des ampoules illuminent un mur immense de bouteilles d'alcool... Sur une scène, point de concert mais tout de même, Jazz Music est écrit en lettres majuscules de néon bleu au dessus d'un nu féminin en bronze qu'on pourrait attribuer à Maillol... Dans la pénombre ambiante, je distingue deux jeunes aux cheveux teints en roses qui boivent des cocktails multicolores tout droits sortis d'un film d'Almodovar... deux vieilles dames laquées discutent autour d'une assiettes de tapas... J'ai l'impression d'avoir traversé un sas temporel et de me retrouver à New York en pleine prohibition. Je ferais peut-être mieux de me contenter d'une eau gazeuse...  La serveuse s'approche... Une légère angoisse s'empare de moi... Et si elle me demandait mes papiers ? Pire ! Si elle me fichait dehors ? J'adopte une attitude désabusée. Ouf ! Apparemment, le protocole est resté le même. Ou bien c'est moi qui suis restée une très bonne comédienne. Hélas, même en Espagne, je ne suis pas en mesure de le vérifier. Mais au moins ici, je peux boire pour oublier mon chômage forcé ! A ceci près que les cartes semblent avoir disparues. Que nenni !  Elles se sont simplement dématérialisées : la serveuse m'indique sur la table un QR code à scanner. Je m'exécute. La carte apparaît sur mon téléphone. J'hésite... Tant de choix ! Je n'ai plus l'habitude. Chez moi, c'est café ou eau du robinet. Très éventuellement verveine le soir... Mojito, Whisky, Vermut, Vino - Blanco Tinto, Rosada - Tequila... Mon téléphone est pompette !  Je décide de me simplifier la tâche et de faire prendre un peu l'r à mon espagnol par la même occasion : je demande à la serveuse quel vin me aconseje. Sa réponse est sans appel : Rioja ! Vale ! Apparemment, la serveuse ne s'y connait pas trop mal... Il est pas dégueu son petit Rioja... Ou bien j'ai tellement perdu l'habitude que je ne me rends plus compte ! Ou bien je suis tellement contente ! Assise à ma table, je savoure mon verre...  Et le plaisir retrouvé de ce moment...  Je contemple la salle et je me dis que définitivement, ça valait le voyage... J'ai hâte d'être à demain ! De pousser les portes grandes ouvertes des musées, des restaurants, du Palais Royal...  Caramba  ! Bientôt el toque de queda  ! Je me lève sans bousculer personne et paye mes 3 euros (!). Dehors, quelques rares taxis passent sur la avenida.  Des taxis blancs, des claquements de portières... Un vrai mélange de sentiments...Madrid, Madrid....T'as raison Nilda, c'est ça... y me encanta !




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