144. See you Nesquik !

Un grand cri de joie. Voilà comment je suis accueillie après cinq semaines. Allez, je l'avoue, ces petits filous m'ont manqué et leurs sourires me donnent la chair de poule. Je pousse la porte vitrée de la cour de récréation et aussitôt, vingt-huit diablotins surexcités me sautent dessus. Je ne peux plus bouger. Chacun tire  sur ma robe avec ses petites mains poisseuses : " Hello Stéphanie ! Hello Stéphanie ! " Et lorsque, selon le rituel établi en classe, je demande " How are you ? " , un brouhaha s'élève dans la cour : " Me, I am happy ! I am hot ! I am hungry ! I am so so ! " Soudain, Zora lève sa petite menotte. " Stéphanie, comment on dit j'ai peur ? "  Je lui réponds et Zora répète : " I am scared. " avant d'ajouter : " Tu me souffleras si je sais plus mon texte ? " Je promets. 

Dans une heure trente aura lieu  The Fairy Marathon le spectacle en anglais que nous avons répété cette année avec les CE2-A de l’Ecole Haute Bruyère de Villejuif. Pendant trois mois, après un long voyage d'une heure quinze, à bord de trois métros puis d'un bus, j'ai rencontré mes petits élèves chaque jeudi dans cette école primaire désolée. Sur la façade grise, une triste banderole réclame sans succès des AVS et des enseignants supplémentaires. Du CP au CM2, des enfants mutiques, violents ou tout simplement inadaptés se mêlent aux - trop - nombreux élèves de l'école et les enseignants tentent de gérer les classes comme ils le peuvent... 

Cécile est à l'initiative de ma venue. Dans sa classe, un élève autiste et un autre violent perturbent chaque heure de cours et affectent les autres élèves qui se divisent entre le groupe des indifférents et celui des insolents. A raison de cinq heures par jour avec ces petits monstres, Cécile est une sainte. Ils ont beau n'avoir que huit ans, jouer ne semble déjà plus faire partie de leur vocabulaire. La mort dans l'âme, après trois séances mouvementées (jalonnées de " Ta gueule ! " et de verre cassé), Cécile renonce au programme de théâtre, plus déçue que ses élèves...

Dans la classe de Nora, les élèves viennent des Comores, du Sénégal, du Togo, du Maroc, de Tunisie, de Côte d'Ivoire... Ici règnent la chaleur, la bonne humeur, le bruit, les braids et le tchip à l'africaine ! Le groupe est homogène même si Nora me confie que pour beaucoup, le programme de français est un véritable défi. Alors celui d'anglais ! Avec le théâtre, elle espère que ce sera plus ludique. Elle panique un peu quand je lui explique que je ne m'exprime jamais en français. " Euh... Jamais... Jamais ? " Never...  Je la rassure, ça ne posera pas de problème. Les enfants et moi nous comprenons très vite et ce qu'ils ne comprennent pas, ils le devinent. Ils ne soupçonnent pas que je parle le français. Nous jouons, improvisons, répétons dans la langue de Shakespeare, uniquement. Ou plutôt celle de Lewis Caroll car Nora a choisi de revisiter Alice au pays des merveilles

Aujourd'hui, c'est le grand jour. La représentation approche. Alors que j'aide les artistes à se préparer, je n'en reviens pas, voilà qu'ils me parlent en anglais le plus naturellement du monde !

- Stéphanie ! Come and see my costume ! 

- You know, after i go on holidays euh... chez Mamie ! 

- Why you stop to come ?

- Let's do warm up, pleaaaase !

Rien à voir avec notre première séance...

- Nora, on comprend rien. 

- Tu peux parler français ?

-  Elle va parler anglais TOUT LE TEMPS ?

The Fairy Marathon a duré 40 minutes. Les costumes et les décors étaient dignes d'une production du Festival d'Aurillac ! Zora s'est rappelé tout son texte toute seule et Redouane a fait semblant de tomber comme un vrai clown. Tout le monde a ri. Iman a parlé plus fort que jamais, on l'a entendu au moins jusqu'au quatrième rang et Kadi n'a prévenu personne et s'est enhardie à ajouter une roue à sa performance ! Toute la classe a parlé dans un anglais parfait. Dans le public, une maman pleurait. Elle nous a avoué à Nora et moi qu'elle n'avait rien compris. Contrairement à son fils, elle n'avait pas appris l'anglais. 

Après les saluts, je les ai félicités... en français ! Ils m'ont regardée comme si je venais de la planète mars. Avant de partir, Zora est venue me faire un câlin.

- I am sad it is finish. 

- Tu ne me parles pas en français ? 

- Non, ça fait bizarre... Bye, bye Stéphanie. 

Bye bye Zora. You made me so proud !

Avec l'autorisation des parents d'élèves du CE2-A

Commentaires

Enregistrer un commentaire