80. Le pouvoir des fleurs

Samedi, 16h45. Dans un quart d'heure à peine, j'ai rendez-vous avec le bonheur. Vite! Je sors. Métro Barbès-Richechouart. Sous l'enseigne de TATI, je manque d'abord de m'embrocher sur la perche à selfie d'un touriste japonais. Je slalome tant bien que mal entre les vendeurs de contrefaçons et les joueurs de bonneteau. Plus loin, je refuse une cartouche de Marlboro (Gold) quoiqu'à moitié prix ainsi que plusieurs épis de maïs grillés. Tous ces contretemps m’exaspèrent, j'ai les nerfs à vifs! Laissez-moi passer! Je ne veux pas être en retard! Et s'il ne m'attendait pas? Passé Anvers, enfin, la chaussée se dégage. J'accélère le pas et débouche finalement sur la Place Charles Dullin avec dix minutes d'avance... Ouf! J'ai le front moite de m'être précipitée, à moins que ce ne soit ma veste trop chaude pour les 25°C de ce mois de septembre. J'ai encore quelques minutes devant moi. J'en profite pour ôter ma veste et savourer ce début d'automne ensoleillé. Autour de moi, des arbres jaunissant et des gens qui sourient aux terrasses des cafés pendant que d'autres flânent au hasard des rues de Montmartre. Une fois de plus, le charme de Paris me submerge à l'improviste. Derrière moi, se dresse le joli Théâtre de l'Atelier. C'est ici que j'ai rendez-vous. Dans ce théâtre où, il y a quelques années (déjà?), j'ai applaudi tour à tour Laurent Terzieff, Suzanne Flon et Michel Bouquet. Le cœur battant, je pousse la porte, je retire ma place au guichet et alors que la sonnerie retentit, je m'installe "confortablement" sur le siège 83 du balcon non sans avoir glissé 2 € dans la main de l'ouvreuse rémunérée au pourboire, merci. Une fois assise, je m'interroge : 2 € n'est-ce pas trop? Mais 1€ c'est un peu chiche, non? En attendant le début du spectacle, je scrute les spectateurs à l'orchestre:  et eux, combien ont-ils donné à l'ouvreuse? 1€ ou 2€? Les nombreux crânes dégarnis me laissent croire que je dois être la seule dans la salle à ne pas bénéficier du tarif senior. Seule sur mon siège, je suis impatiente. J'espère que mon compagnon ne va plus tarder car le spectacle est sur le point de commencer. Déjà, l'ouvreuse demande à l'assistance d'éteindre son portable, je m'exécute pendant que les lumières s'éteignent, le silence gagne progressivement la salle...
Le spectacle commence... Le grésillement d'un électrophone... Un piano qui frémit... (Mais où est-il?) Un ciel d'été... (Mais que fait-il?) Un gazon verdoyant... Ah! Enfin! Le voilà!!! Dans la pénombre, je souris à François Morel tandis qu'il gravit vivement les quelques marches qui mènent à la scène. Nous voilà enfin réunis. Le bonheur peut commencer. 
Sur la scène, apparaissent Hyacinthe et Rose, deux petits vieux étrangement familiers entourés de leurs petits-enfants.
Sur la scène il y a du soleil, des genoux écorchés, des épines, des jours de pluie, du foin coupé, un comptoir de bistro, des copains, des abeilles, des vacances d'été, un chat, L'Huma et même un curé. 
Sur la scène, ça sent bon la confiture, le chocolat du goûter, le Ricard mais ça embaume surtout les fleurs aux mille couleurs du jardin parfumé de Hyacinthe et Rose.
Sur la scène fleurissent aussi les jolis mots de François Morel égayés par les notes toutes douces d'Antoine Sahler. 
Sur la scène, ça sent maintenant un peu la sueur de François et Antoine. Mais on s'en fiche. 
Sur la scène, c'est plein de poésie, de tendresse, de naïveté, de mélancolie, de chagrin parfois et de (sou)rires. C'est plein de tout ça et c'est pour ça que ça sent la sueur!
Sur la scène il n'y a que l'essentiel. Rien d'autre. Pas de projection en 3D, pas de numéro de trapèze aquatique, pas de costume de Torero. Rien. Une chaise, une table, un piano. Pis ça suffit. 
Au final, sur la scène du Théâtre de l'Atelier, chez Hyacinthe et Rose, il y a la vie. Simple et jolie. 

Après 1h15 de spectacle, Hyacinthe et Rose ne sont plus. Ils reposent paisiblement à l'ombre de leur jardin fleuri de tulipes, d'agapanthes et de lilas, tandis que dans la salle, les lumières  se rallument. Les reniflements de ma voisine me rassurent: je ne suis pas la seule à les pleurer. Hélas, mon rendez-vous s'achève. Je me lève du siège 83 du Théâtre de l'Atelier et sors du théâtre, heureuse. Je flâne aux pieds du Sacré Cœur en regardant le bleu du ciel... Hyacinthe et Rose ont réveillé des souvenirs d'enfance et de campagne qui me reviennent en tête... Soudain  je me rappelle cette poésie de Paul Fort apprise à l'école :

Le bonheur est dans le pré,
Cours-y vite, cours-y vite
Le bonheur est dans le pré , 
Cours-y vite il va filer! 

Je me dis alors que le bonheur n'est seulement dans le pré, il est aussi sur les scènes de théâtre... 
En particulier dans le spectacle de François Morel! Courez-y... il va filer!

Même l'affiche est jolie et elle est de Martin Jarrie, peintre illustrateur

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