132. Clip coton !

Ça y est ! Depuis deux jours, j'ai mes règles - d'or -  sur Youtube ! J'avais un peu mal au ventre pendant le téléchargement, mais il parait que c'est normal. Enfin bon : je suis une Grande. Comme Madonna, Beyonce et Lady Gaga. Bon... Grande... Tout est question de perspective. Et de costumes. Et de danseurs. Et de brushing. Bref de moyens. Oh et puis zut ! Certaines ont simplement besoin de plus de temps que d'autres pour s'épanouir virtuellement. Et puis ma notoriété étant encore relativement confidentielle, je préfère ne pas trop brusquer les choses. Chacun a son propre rythme technologique, le mien c'est un clip tous les sept ans. Il faut savoir se faire désirer. Et avoir des abdos. Ce qui a pu accessoirement retarder les choses d'une année, peut-être deux.

Le jour du tournage, pour garantir mon succès sur le Net, à l'instar de Madonna, Beyonce et Lady Gaga, j'ai enfilé body et collants sexys. Je  ne suis pas une andouillette, j'ai vu et revu les millions de vues de Hung up, Singles ladies et  Bad Romance et ma tenue bien sûr (qui étrangement, n'est pas sans rappeler l'andouillette ?) s'est immédiatement imposée. En revanche, j'ai fait l'impasse sur les escarpins pailletés de 28 cm. Une fracture de la cheville ainsi que le ridicule se sont quant à eux immédiatement imposés comme des risques inutiles à courir, surtout en talons. Certes, on risquait de me reprocher de ne pas être sexy jusqu'au bout des ongles de pieds. Mais d'abord, qui fait du fitness perchée sur des escarpins ? A part Beyonce, s'entend. Personne. Dans les salles de sport que j'ai fréquentées en tout cas. Et puis la mauvaise foi, ce n'est pas fait pour les chiens. Si on allait me reprocher quoi que ce soit, je pourrais toujours déguiser le confort de mes vieilles baskets en acte féministe, en militantisme actif contre la dictature médiatique, abusive et patriarcale des Stilettos à bout ouvert.

J'étais donc bien dans mes baskets, plantée devant le miroir dans mon body rose bonbon, et plutôt satisfaite. Force m'était de constater que localement, je pouvais sans doute rivaliser avec Beyonce quant au diamètre de mon bassin (pour ne pas dire la surpasser mais je n'aime pas me vanter), ma chevelure quant à elle avait des airs de liégeois chocolat premier prix qui n'étaient pas sans rappeler les extravagances capillaires de Lady Gaga, enfin, comparativement à la Madonna d'aujourd'hui, je trouvais mon maquillage camouflage plutôt réussi. Hormis de fameux abdominaux brillants par leur absence, je n'avais donc rien à envier aux plus grandes des Divas et ce tournage s'annonçait sous les meilleurs auspices.

Pleine d'assurance, plus rose qu'un bouquet d'hortensias, je me suis avancée on ne peut plus grâcieusement sur le tapis de sol - c'est idiot cette expression ! Vous les mettez où, vous, vos tapis ? Au plafond ? - de la salle de sport At the Good Place  en compagnie de Jérémy, le maître des lieux, tout en muscles et en sourire, qui avait généreusement mis ses muscles, ledit tapis, le sol, ainsi que les murs de sa salle à notre entière disposition pour le tournage. Marie s'occupait du cadrage, Robin des lumières, Lucas faisait semblant de pianoter, moi de chanter... Bref, tout allait pour le mieux dans le meilleur des clips, jusqu'à ce que Marie me demande... de faire des abdos. A moi ! Désolée, Marie, mais je n'ai pas apporté le matériel avec moi. Pour le plan tablettes de chocolat, c'est avec Jérémy qu'il faudrait voir ça... Moi, je serais plutôt du genre à boulotter la première boîte de Quality Streets venue, mais s'il fallait tourner un plan flan aux œufs, dans ce cas, j'étais parfaitement équipée ! Non ? Fallait-il vraiment que ce soit moi ? Dire que je n'avais pas mis de talons pour sauver ma dignité et que j'allais maintenant devoir me ridiculiser à tenter de faire trois ciseaux ! Résignée, je m'installais... au sol... pour pédaler avec tout à la fois la grâce, la graisse et le souffle d'un veau marin sur la Baie de Somme. Quelle tristesse ! Toutes ces calories laborieusement accumulées, brûlées d'un seul coup ! Ah non, on pourra bien dire ce qu'on veut mais vraiment la Culture... c'est physique !



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