146. Retour de flemme

Et voilà, l'avion s'est posé sur la piste. Quelques rares passagers applaudissent, la plupart préfèrent  rallumer leurs portables et comme je les imite, Sosh en rajoute une couche et me rappelle qu'il est l'heure de revenir sur terre. Pas de doute, ma parenthèse islandaise est bel et bien terminée. Pour autant, contrairement aux autres passagers du vol TO4409 en provenance de Keflavik, je ne me dépêche pas  de récupérer mes affaires. Encore moins de quitter l'avion. Je ne peux pourtant pas rester là toute la nuit à regarder à travers le hublot, la pluie tomber sur le tarmac et sur ce pauvre agent de piste d'Orly ! A contrecœur, je me décide donc à me lever. Je remonte l'allée centrale, salue le steward qui s'en tamponne royal, et emprunte la passerelle vitrée qui rejoint l'aéroport. 

Sur le carrousel numéro 2 de la zone de retrait des bagages, mon sac à dos se fait attendre. Peut-être que mes chaussettes sales et ma trousse de toilette se sont fait la malle ? Je ne peux pas leur en vouloir tout à fait, j'avoue que l'idée de ne pas rentrer m'a traversé l'esprit à moi aussi. Elles ont peut-être eu le courage que je n'ai pas eu ? Apparemment pas. J'aperçois mon sac qui tourne sagement sur le tapis du carrousel. Je l'attrape par les bretelles et charge prestement ses 10,8 kilos sur mes épaules- c'est bien la première fois que je voyage aussi léger - avant de me diriger vers la sortie sans me précipiter, histoire de faire durer encore quelques minutes le voyage... Peine perdue. A peine ai-je franchi les portes automatiques que tout est terminé. Le calme, la quiétude, la sérénité islandaises s'envolent avant que j'aie pu dire ouf. Dans le hall d'arrivée, les gens courent en tous sens sous une lumière blafarde tandis qu'un brouhaha entêtant bourdonne et qu'un écran diffuse même BFM... On est loin de la tranquillité et des ciels aux nuances roses et jaunes islandais. J'ai l'impression étrange de sortir subitement d'un rêve. Plus de maisons multicolores ni de plages de sable noir... Plus de montagnes, de cascades, de moutons... Plus le vent qui balaye les landes infinies d'herbe sombre et laineuse... Plus de queues de baleines qui transpercent la surface de l'océan... Plus rien, que l'Aéroport d'Orly et son triste Bienvenue, Paris n'attendait plus que vous.

Dehors, l'air frais et les klaxons finissent de me réveiller tout à fait. J'étouffe entre ma doudoune en polaire et cette file d'attente de taxis qui n'en finit pas ! Je souris malgré tout de voir que la pluie m'a suivie depuis Reykjavík. Devant moi, mes voisins de vol se sont apparemment remis plus vite que moi dans le bain parisien : ils signifient leur impatience avec moult vacarme et s'agacent avec aisance. Je suis plus longue à la détente. Par réflexe, je cherche au milieu des berlines, le van qui m'a servi de transport et de maison au cours des dix derniers jours. En vain.

Un peu déçue, je grimpe dans un taxi quelconque, sans rechaud, sans évier, et sans glacière... Je réalise soudain que ce soir, je vais enfin dormir sans chaussettes, dans un vrai lit, sur un vrai matelas, avec un vrai chauffage et même à 19°c, ce sera le paradis ! Même que je pourrai aller faire pipi dans des vraies toilettes chaque fois que j'en aurai envie ! J'exulte ! Comme quoi, être de retour n'a pas que des mauvais côtés.   

Derrière les vitres du taxi, les lumières nocturnes illuminent les rues de la capitale. En un clin d’œil, j'oublie que Paris me stresse et me maltraite quelquefois au point que j'ai besoin de la quitter. J'ai beau voyager, je ne me vois pas vivre ailleurs. Il me suffit même d'un ailleurs pour que je la retrouve et que je réalise comme elle m'a manqué. 

Alors que je rentre d'Islande, je suis à deux doigts de jouer les touristes et de sortir mon portable pour mitrailler ma ville. Je me contente de regarder le spectacle défiler par la fenêtre: un couple d'amoureux se tient par la main sous les réverbères du Pont Neuf... Les échoppes des bouquinistes sont fermées sous les platanes du Quai de la Mégisserie... Deux skaters font des figures sur le bitume au pied du Génie de la Bastille... Et sur la banquette arrière du taxi, je me dis que l'Aéroport d'Orly n'avait pas tout à fait tort, Paris n'attendait que moi... 

 


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