74. NamaStef!

Que c'est excitant les voyages! D'abord on se plonge dans les guides, on explore les photos sur le Net, on vérifie la météo et en fonction, on s'interroge sur ce qu'on doit emmener d'indispensable dans sa valise : pull ou T shirt? Baskets ou sandales? Oui, mais si on sort? Une robe? Des talons? Et puis encore le pyjama, les sous-vêtements, le maillot (et par conséquent le paréo et la crème solaire qui vont avec), la trousse de toilette, celle à pharmacie, un ou deux bouquins, l'appareil photo et son chargeur, ceux du téléphone et de la tablette... Par précaution on ajoute encore 2 kilos de broutilles superflues puis, dans un élan de clairvoyance superbe, on se demande si les boucles d'oreilles et les chaussettes sont bien nécessaires? On en trouvera sûrement sur place! Alors, on allège la valise boulimique de 200 grammes inutiles et on se sent satisfaite. Au final, deux heures de tergiversations et 18 kilos plus tard, on se dit qu'on est parée à s'envoler pour le bout du monde, le passeport et le billet électronique soigneusement rangés au fond du sac!

Dans l'avion qui m’emmène à plus de 7000km de chez moi, je suis impatiente comme une petite fille. A travers le hublot, je regarde l'écume des nuages et comme toujours, j'ai envie de plonger ma main dans cette chantilly céleste. L'hôtesse ne prend pas la peine de m'indiquer les issues de secours, néanmoins une voix synthétique m'explique les gestes à exécuter en cas de catastrophe aérienne successivement en anglais, en arabe, en hindi et le dépaysement me gagne. Ici comme ailleurs, le plateau repas que me sert l'hôtesse n'a rien d'appétissant hormis les noms des barquettes réchauffées : Chicken Biryani, Rava Laddhu. Dans l'avion, mes compagnons de voyage sont quasiment tous endormis. Comment peuvent-ils dormir? Pour ma part je suis bien trop excitée et je calme mon impatience en rattrapant mon retard cinématographique avec Twelve Years a Slave. Enfin (enfin!), le commandant de bord annonce notre descente. Il me demande de boucler ma ceinture et obéissante, je m'exécute. Il est 4 heures du matin heure locale, la température extérieure est de 25° Celsius et notre avion se pose en douceur et en pleine nuit sur le tarmac de l'Aéroport de Jaipur, Rajhastan, Inde. 

Nous ne sommes pas encore montés dans le taxi qui doit nous conduire à l'hôtel que je suis déjà dépaysée! Devant l'aéroport s'alignent les Rickshaws et les Touk Touk Piaggio jaunes et verts. En route pour l'hôtel, peu avant 5 heures, la ville se réveille aux couleurs des carrioles des vendeurs de légumes, des saris des femmes qui frôlent le bitume et des cascades de bougainvillées. Les publicités peintes à même les murs et les inscriptions en hindi ajoutent encore au folklore, la ville entière semble sourire et je ne serais pas autrement surprise de voir commencer une chorégraphie Bollywood au prochain carrefour. Mais non. Ce sera pour demain sans doute. Nous voilà enfin à l'hôtel et je tombe de sommeil et même si j'ai hâte d'explorer la ville et ses alentours, je m'écroule en moins d'une minute sur mon oreiller.

Au matin pourtant, je suis surprise. La ville rose semble avoir perdu son sourire. A la lumière du jour, le folklore des Rickshaws disparait quand je découvre que ce sont souvent des vieillards qui pédalent laborieusement sous le poids de cargaisons gigantesques. Les saris des femmes balaient non pas le bitume mais des détritus en tous genres et les pieds nus des enfants arpentent des routes jonchées d'immondices. Entre vaches - sacrées peut-être, faméliques sans doute - singes et chiens errants, les hommes trainent des carrioles misérables, proposant de la canne à sucre, des chips, des colliers d’œillets, des cigarettes ou une coupe de cheveux pour quelques roupies. Je découvre ici une misère que je n'ai jamais vue et mes yeux d'européenne gâtée me piquent. D'autant plus que le contraste avec la splendeur des temples et des palais que nous visitons est saisissant. 
En route pour le Taj Mahal, somptueux de marbre et de pierre précieuses, les tentes rudimentaires et les maisons de torchis s'alignent, côte à côte dans la boue, sur le bord d'une route à peine praticable. Mais comment est-ce possible? Sans cesse, mon cœur balance entre extase et consternation. Ce qui devait être un joyeux séjour touristique devient une expérience humaine étrange autant que riche (sans mauvais jeu de mots), intense et parfois douloureuse. Je suis pourtant heureuse d'être là et de partager ces quelques jours avec ma famille.
Car au-delà de la pauvreté et du dénuement, nous découvrons la gentillesse et les sourires des habitants. Les petites filles en uniforme reviennent gaiement de l'école et nous saluent joyeusement de la main. Ici et là, ma sœur et moi nous retrouvons bénies. Je caresse mon premier (et mon dernier!) serpent. Je m'émerveille devant des éléphants multicolores. Nous savourons les épices qui saupoudrent chacune de nos assiettes et enflamment nos palais. Et toujours, où que nos yeux se portent, les couleurs chatoyantes semblent contredire la tristesse des rues boueuses.
Dans l'avion qui me ramène, mes compagnons de voyage sont de nouveau endormis. Cette fois je ne regarde pas l'écran sur le fauteuil de mon voisin. Appuyée au hublot, je repasse dans ma tête les images de ces derniers jours et je mesure ma chance, heureuse, moi qui, comme Ulysse, ai fait un beau voyage...

Dans les rues de Jaipur

Le Taj Mahal

Monkey Palace

Commentaires