93. Peine de morts

Chers lecteurs, l'année débute à peine que déjà, je me félicite. Vous allez dire que je vais un peu vite en besogne, mais le proverbe a bien raison qui dit : on n'est jamais si bien servi que par moi-même ! D'ailleurs, c'est pas moi qu'ai commencé. Au Lycée Molière déjà, Madame Flaive ma prof d'anglais accessoirement principale, ainsi que tous mes autres professeurs d'ailleurs, ne manquaient pas de me féliciter chaque fin de trimestre, éblouis qu'ils étaient tant par mon appareil dentaire que par la précocité de mes innombrables talents. Élève studieuse et disciplinée, je me suis rapidement rangée à l'avis du corps enseignant.
Avec le temps, j'ai bien été forcée d'admettre qu'ils n'avaient pas tort et que les raisons de chanter mes propres louanges ne manquaient pas. Du reste, soucieuse de n'embarrasser personne, je me suis tant bien que mal retenue jusqu'ici de composer un opéra en trois actes à ma seule gloire. Preuve en est que je ne vous ai pas menti : ce souci névrotique de mon prochain, cette générosité immense qui m'animent... Avouez qu'ils mériteraient bien une petite cantate!
Mais je me dois de rester fidèle à ma modestie illustre (qui à elle seule ferait l'objet d'un magnifique madrigal). Et si aujourd'hui, je range malgré tout ma pudeur dans mon tiroir à chaussettes pour me féliciter devant vous, je ne veux pourtant pas abuser. Je résumerai donc cette auto congratulation à un sujet unique. D'autant que ça ira plus vite!
Alors donc voilà. A l'instar de nombreuses personnalités qui l'avait précédée, 2016 s'en est allée  le 31 décembre dernier. Elle nous a quittés libérée délivrée, les étoiles lui ont tendu les bras, libérée délivrée, non ne pleurez pas. On a pu entendre certains soupirer soulagés "Enfin!"d'autres "Déjà?" et d'autres encore, l'esprit probablement embrumé par la douleur soudaine ont même murmuré "Je me demande si elles étaient fraîches les gambas?" avant de s'isoler pour cacher leur peine aux toilettes. 
Et pourtant, malgré son lot de bonnes nouvelles, entre autres la sortie de mon merveilleux album En pleines formes disponible sur les plateformes et sur Bacchanales Productions pour la somme raisonnable de 15€2016 fut une hécatombe... De Nice à Magnanville, de Istanbul à Bruxelles, De Berlin à Orlando, la liste des victimes d'attentats s'est allongée au point qu'on entendait certains hésiter lorsqu'il s'agissait de choisir l'avatar pour témoigner leur sympathie sur les réseaux sociaux... La macabre pêche des corps de migrants anonymes qui tentaient de rejoindre l'Europe, s'est elle aussi avérée un peu trop fructueuse... 
On a pleuré au cinéma, beaucoup. La fin de tournage a sonné, entre autres pour Ettore Scola, Jacques Rivette, Michel Galabru, Michele Morgan, Claude Gensac, la princesse Leia ou Debbie Reynolds... Monsieur Cinéma lui-même nous a tiré sa révérence, emportant avec lui un peu de  mon enfance. Umberto Ecco, Dario Fo, Elie Wiesel ou Michel Tournier ont décidé de tourner définitivement la page et émus, on s'est dit qu'on les relirait bien leur bouquins, un de ces jours... 
De leur côté Bowie, Michel Delpech, Prince, Papa Wemba et George Michael se sont filé rendez-vous pour un dernier bœuf à l'Hotel California, il a donc fallu se résoudre à créer une playlist des plus éclectiques qu'on a élégamment baptisée Post Mortem sur Itunes. On a aussi croisé les doigts très fort pour qu'aucune maison de disque ne sollicite Christophe Mae, Louane, Matt Pokora et Coeur de pirate pour un dernier hommage à Léonard Cohen... 
Mohammed Ali est tombé KO... Courrèges et Sonia Rykiel sont allés se rhabiller... Shimon Peres a fini par trouver un accord de paix... Gotlib a rangé ses Dingodossiers... Siné est allé retrouvé Cabu et Wolinski, sans doute que les copains lui manquaient trop.... Pierre Etaix a fait son dernier numéro mais ça n'a fait rire personne... La lune est morte quand Paul Tourenne est allé rejoindre les Frères Jacques... Rocard a définitivement passé l'arme gauche... et Benoite Groult a brûlé son dernier soutien gorge... Et j'en oublie. 
Si on veut voir les choses du bon côté, on peut toujours se dire qu'en 2016 l'industrie du funéraire a connu une belle période de prospérité économique. Avec une telle croissance dans ce secteur, des filières longtemps délaissées telles que marbrier, fossoyeur ou thanatopracteur devraient connaître un nouvel essor. 
On peut aussi se dire que à vue de nez, La Mort semble être une personne de goût, raffinée et cultivée. Pour un peu, on aurait presque envie de la rencontrer. De l'accompagner au cinoche ou au concert et d'échanger avec elle un ou deux bouquins... Cependant, sans vouloir l'offenser, je tiens à me féliciter comme je l'avais annoncé plus haut. Chaleureusement même. D'avoir échappé à sa vague mortuaire sinistre et jalouse qui nous a ôté ces nobles personnalités comme ça sans prévenir, sans même un mot d'excuse. D’aucuns diront sans doute que je suis jeune et pleine de vie, à quoi bon m'inquiéter? Ils n'auront pas tort (j'ajouterais simplement qu'ils ont oublié de dire que je suis également une quadragénaire d'une beauté à couper le souffle). Que si je suis une artiste, ma notoriété est toute relative, pour ne pas dire confinée, voire familiale. J'en conviens. mais enfin je suis une artiste tout de même, par conséquent j'avais toutes les raisons de me sentir menacée! 
Je ne vois pas toujours la vie en rose fuchsia, la plupart du temps je me contente d'une jolie nuance rose framboise, parfois de rose pétard et plus rarement d'un rose pelure d'oignon.... Mon côté Barbie sans doute. En 2016, Barbie n'est pas morte. Au contraire. Elle a eu 57 ans et pour fêter ça, Barbie Curvy a fait son entrée au rayon jouets. Elle est bien en chair, dodue, pulpeuse... Comme moi en somme... et je m'en félicite! 


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