137. Goût de chiottes

 

Alors ? Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas lus ? Comment ça va ? Excusez-moi, je coule un peu sur le clavier, je reviens de mon footing. Enfin de mon jogging. Non ! Pardon ! Mon running. Bon,  inutile d'en faire tout un far au pruneaux : je suis allée courir, c'est tout. C'est dingue, toutes les décennies, il faut qu'on change de mot pour désigner le même truc ! C'est pour vendre plus de baskets, c'est ça ? Attendez... Deux secondes, faut que j'aille faire pipi, je reviens. Aaaah... Me revoilà. Au fait, puisqu'on en parle, j'en profite pour soulever un point sensible. Cette histoire de Pass Sanitaires, là. Vous en pensez quoi ? J'avoue que je ne comprends pas très bien pourquoi tout le monde s'excite. Ça devrait faire l'unanimité, non ? Franchement, je ne sais pas comment c'est par chez vous, mais à Paris, trouver un endroit pour faire pipi ça relève parfois du parcours du combattant. Alors si y a moyen de soulager tout le monde (c'est une figure de style, hein), je trouve que c'est pas si con. Je sais que je ne vais pas me faire que des amis mais... allez, faut assumer ses convictions ! Je suis pour le Pass Sanitaires. Il est grand temps que le gouvernement prenne position et rende les toilettes publiques accessibles à tous.
Comment ça, c'est contraindre la liberté d'uriner des individus ? Alors là, je ne suis pas d'accord du tout. Tenez, à Toulouse par exemple, où je viens de passer trois semaines pour la création de Sur la Bonne Voix nos ateliers de développement personnel et musical à domicile, eh bien le centre ville compte à peine 20 Sanisettes. Si l'on rapproche ce nombre de la consommation de bière locale par habitant, à première vue, je ne suis pas scientifique, mais la proportion me semble plus qu'insuffisante. Ainsi, avec mon amie Valérie - qui est accessoirement la metteure en scène de nos ateliers - nous avons eu l'opportunité de faire quelques observations sur le terrain. A cette occasion, nous avons pu étudier le comportement des autochtones. Au petit matin, nous avons vu différents spécimens, masculins pour la plupart, se saisir fièrement de leur attribut (de tailles et de formes variées) et honorer le bitume d'un jet fumant d'urine, arrosant joyeusement leur environnement naturel et urbain. En quoi leurs besoins naturels eurent-ils été brimés si des Sanisettes avec lavabos et savon inclus avaient été mises à leur disposition, je pose la question ?
On m'opposera sans doute à grands cris que chacun a bien le droit de faire pipi là où il le souhaite, que ce soit dans des toilettes,  à l'abri des buissons, entre deux voitures ou encore dans le caniveau. Je répondrais que non, ce n'est pas le cas. Dans la capitale (c'est l'exemple que je connais le mieux, veuillez m'en excuser) l'article R632-1 du code pénal prévoit que pour « épanchement d'urine » (on notera la figure poétique) en pleine rue les riverains sont passibles d'une amende de 68 €. Les épanchements sont pourtant légions, il suffit de venir faire un tour dans ma rue pour vous en assurer. Et je vous épargne les épanchements solides.  A moins que les riverains ne s'inscrivent dans une démarche écologique ? Peut-être participent-ils à l'entretien de la flore sauvage de la Rue Robineau au moyen d'arrosage et de compost 100% naturel ? Dans cas, en effet, l'accès entièrement libre à la Sanisette située 100 mètres plus loin Place Martin Nadaud est parfaitement obsolète. 
En 2018, en plus des 400 Sanisettes plus ou moins propres déjà installées un peu partout, la Ville de Paris a par ailleurs installé 5 Uritrottoirs * écologiques pour permettre à ces messieurs de faire à la fois pipi, du compost et pousser des fleurs quand une envie subite les surprend au détour de l'Ile Saint Louis. Si l'initiative est plutôt louable, on peut cependant déplorer que la Ville de Paris ait oublié de penser à l'intimité la plus élémentaire des usagers et que des envies subites pouvaient tout autant surprendre les dames... 

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Pour finir, j'aimerais vous soumettre une dernière anecdote en faveur du Pass Sanitaires,  entièrement fictive cela va de soi ! Imaginez que vous débouliez gare de Lyon une demi-heure avant le départ de votre train, qu'une envie pressante déclare l'état d'urgence dans votre vessie et qu'il vous reste environ 10 minutes avant d'accéder à votre train. Imaginez encore que plein d'audace - entre autre - vous décidiez de débusquer les toilettes du Hall C, au fin fond du sous-sol, entre le Parking et la Dépose Minute en traînant derrière vous votre valise de 18 kilos (avec au choix vos skis, votre planche de surf ou votre matériel de tournée) alors... je vous souhaite bon courage ! Une fois trouvée la sacro sainte porte des chiottes, l'entrée nécessite une pièce de 1 euro. Bien sûr, vous n'avez pas de pièce sur vous et votre Carte Bancaire ne vous est d'aucun secours. Cette foutue cuvette se situe maintenant à peine à 20 mètres, elle est impossible à atteindre !  Il vous faut cette pièce ! Vous voilà projeté dans une véritable partie de Donjons et Dame Pipi ! Vous vous dandinez lamentablement d'une jambe sur l'autre... vous savez que bientôt, inévitablement, vous allez mouiller votre pantalon ! L’accès étant gratuit pour tout accompagnant d'un enfant de moins de 6 ans, vous envisagez un instant d' "emprunter" la fillette d'un autre voyageur afin de vous soulager grâcieusement. Quand vos yeux se posent sur une affichette vous êtes au bord des larmes "Dès 2022, les voyageurs disposant d'un billet pourront faire pipi gratuitement en gare." Une SDF crasseuse s'approche alors de vous et vous tend un euro. La honte vous submerge lorsque vous acceptez. Assise sur la cuvette vous songez qu'en 2022, cette SDF ne disposera d'aucun billet pour pisser gratos Gare de Lyon et soulager un besoin on ne peut plus naturel et qu'elle devra toujours payer 1 euro... naturellement ! Votre dignité sauve, vous sortez des toilettes et tendez un billet de 5€ à la SDF. 

Finalement, le vrai drame ces jours-ci, est-ce qu'on ne l'oublie pas un peu vite ? L'accès libre aux sanitaires devrait être un droit élémentaire pour tous. Combien  d'infections urinaires, combien de cystites, de calculs rénaux, de mycoses se sont développés cette année ? Pendant ces divers confinements, combien de personnes se sont retenues de boire (de l'eau !) par peur de ne pas trouver où aller faire pipi ? Alors oui, j'assume. Au risque de déranger, je suis pour le Pass Sanitaires ! Dans les cafés, dans les Mc Do, dans les restos et jusqu'au 3ème étage du BHV ! Des toilettes partout ! Gratuites et pour tous ! Et même... pourquoi le gouvernement ne s'engagerait-il pas en faveur du  papier toilette gratuit dans les campings ?
 
Comment ça le Covid ?  Non mais c'est n'importe quoi, là. Mais il sert à quoi ce gouvernement ?
 
* Pour ceux que ça intéresse, les Naturinoirs du Boulevard de la Chapelle n'ont quant à eux pas fait long feu : Le fiasco des Naturinoirs

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