62. Dans mon stylo...

J'ai mal au ventre.
Je sais, je sais, j'aurais pu trouver plus onirique comme entrée en matière que de bêtes maux d'estomac, mais que voulez-vous? Aujourd'hui l'inspiration me faisait défaut, alors comme souvent dans ces cas-là, j'ai ouvert mon dictionnaire de citations et je suis tombée sur celle-ci:
"Ecrire, c'est cuisiner avec des lettres."
Dany Laferrière
Bon. C'est fastoche alors!  Il suffit de procéder comme en cuisine : on fait avec ce qu'on a. Notez qu'avec cette technique, on obtient parfois des résultats tout à fait surprenants dans sa cuisine. Quelquefois, je vous assure, j'obtiens même des résultats comestibles! A la limite du savoureux! Certes, ce n'est pas toujours le cas. Le plus souvent, le dimanche soir, affamée, je décide d'affronter le néant de mon frigo obstinément vide. Pleine d'une audace gourmande, je me lance alors  dans une improvisation culinaire à l'issue incertaine, mollement inspirée par le hareng fumé et solitaire sous-vide qui hante depuis 3 mois l'étagère de mon réfrigérateur, par ce vieil oignon triste que viennent consoler ces quelques petits pois oubliés au fond de leur boîte sous-vide, par ce yaourt tout à la fois nature actif et bifidé, et pour finir, par ces 2 cuillers à soupe de moutarde qui viendront relever le tout. J'ajoute enfin par acquis de conscience (et pour pas gâcher) les quelques grammes de parmesan qui seront périmés dans 3 jours, comme en atteste fermement le fumet qui s'échappe subitement du paquet. J'obtiens alors, sceptique, une mélasse infâme et nauséabonde que Rantanplan lui-même refuserait et qu'il me semble plus prudent de balancer illico de préférence à la poubelle car cette mixture étrange (et vivante?) risquerait de boucher les canalisations de l'immeuble.  Certes, pour finir je suis toujours affamée, malgré tout j'ai la satisfaction d'avoir enfin évacué les restes qui encombraient les tablettes de mon frigo depuis des semaines. Je me réjouis par ailleurs de m'être épargné une intoxication alimentaire et des douleurs abdominales probables.
Tout ça pour dire, que si la cuisine et l'écriture sont similaires, je m'interroge tout de même un brin de ciboulette. En matière de littérature, faire avec ce qu'on a dans son stylo, est-ce vraiment la recette idéale? En tout cas, il me semble que ça n'ouvre pas nécessairement la porte à la poésie et au lyrisme. D'autant moins si ce qu'on a à portée de plume se résume à des maux de ventre minables, sans aucune dimension dramatique pour étoffer la narration comme le feraient par exemple un ulcère carabiné, une péritonite ou au moins, une gastrite aigüe. Mais là, très franchement, je ne vois pas qui pourrait s'intéresser à mes brûlures d'estomac? Brûlures relativement tiédasses du reste. Peut-être un étudiant en gastroentérologie qui se serait perdu au hasard du web? Et encore... Au moins, si les causes de ces crampes avaient un quelconque intérêt narratif? Je ne sais pas moi... Par exemle : si possédée par le Malin, mes entrailles avaient peu à peu été dévorées par un démon effroyable? Ou si malgré tous mes efforts, mon estomac avait déclaré forfait devant la quinzième douzaine d'escargot alors que je tentais bravement de remporter le célèbre titre du Plus Gros Mangeur d'Escargot  de Ormoy dans l'Yonne? Ou si mes tripes s'étaient soudainement nouées devant l'horreur d'une araignée énorme, immonde et velue (ou mieux, radioactive!) montée sournoisement à l'assaut de mon tibia sous la chaleur moelleuse et rassurante de ma couette duvetteuse? J'aurais sans nul doute trouvé les mots et les phrases qui à leur tour auraient su captiver votre attention de lecteur passionné et attentif (ou l'inverse) et vous auraient donné l'envie de  revenir!
Mais quand sous prétexte de fêter Pâques dans la tradition (juive et chrétienne, tant qu'à faire!) on s'est bêtement empiffrée, voire on s'est carrément goinfrée, de pain azyme et de chocolat, comment voulez-vous faire de vos maux d'estomac le sujet d'une fable ou d'un épigramme valables?  D'une complainte à la rigueur... Par  contre, l'occasion de boire une bonne tisane bien chaude : sans doute! 

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