83. Train d'enfer

Vendredi dernier je prenais le train. J'aurais pu prendre la mouche, mais je ne verse pas dans l'entomologie, les insectes me dégoûtent. Ça rampe, ça pince, on ne sait pas où est la tête... Beurk! J'aurais pu prendre le large mais c'est comme les insectes, les fonds sous-marins me flanquent la frousse. Ça colle, ça pique, on ne sait pas combien d'yeux vous regardent... Yeark! J'aurais pu essayer de prendre la lune par les dents. J'ai toujours eu le goût des missions impossibles. Et puis c'est joli la lune. Rien d'angoissant... Rien de dégoûtant...
Mais non. Rien de tout ça. A la place, j'ai pris un bête de train. Un Paris-Metz tout simple. Rien de très exotique en somme. Metz pour l'exotisme, ce n'est pas Bangkok. Quoique les deux villes aient en commun d'avoir une longue saison des pluies. Et deux ou trois sex-shops. Mais je m'égare. De l'Est forcément.

Le train TGV 2209 partait à 13h40 de la voie 8.
Ils, comprenez deux trolls blonds, sont arrivés se tenant par la main, l'air émerveillé et fourbe de deux chérubins. Pour le soleil, comme je viens de le dire, nous partions pour Metz donc il pleuvait des cordes. Quant à demander... Je dirais plutôt que les parents ont crié: "C'est ici la voiture 18?" Là, je me suis dit ça va faire mal. Ça va faire très mal. Les portes automatiques se sont fermées, Dans les yeux du monsieur face à moi, j'ai pu lire la panique. Nous étions pris au piège. Le train était bondé. Nous ne pouvions plus nous échapper, ni changer de place. Dans le wagon, les deux trolls avaient été rejoints par d'autres spécimens de moins d'1m12. Nous allions devoir être forts et voyager en période de vacances scolaires.

Sur  les 330 km qui nous séparaient de Metz, les trolls ont successivement changé de place une demi douzaine de fois, ils ont colorié et perdu le crayon orange et le marron, ils se sont disputés, ils ont fait un aller retour aux toilettes, ils ont crié, ils ont joué au Pokémon et renversé leurs cartes dans le wagon. Quoiqu'en vacances, ils ont mangé des Petits Ecoliers  de Lu, ils ont envahi le couloir, refait un aller retour aux toilettes, un troll s'est pincé (3 fois!) le doigt dans la tablette pliante du siège de Maman et a pleuré abondamment et surtout bruyamment, pendant que l'autre renversait sa  brique  de jus de fruit sur son pantalon et se mettait à pleurer à son tour. Ce dernier a rerefait un aller retour aux toilettes, pour se nettoyer, forcément. L'un d’entre eux (je ne sais plus lequel) nous a interprété plusieurs extraits de l’œuvre de Henri Dès, pendant qu'un autre écoutait en boucle Petite poule cherche un ami sur sa tablette. Au cas où cela vous préoccuperait, Petite poule initialement très timide se révèle très sociable et se lie d'amitié avec quasi toute la basse-cour sauf une pintade noire. Ses nouveaux amis finissent même par organiser une espèce de super fiesta en son honneur où le picotin et le lait coulent à flot. Personnellement, j'ai trouvé l'attitude de Petite poule limite. Sa timidité ne devrait-elle pas l'inciter à faire preuve d'un peu plus de tolérance? Que lui a fait cette pintade au juste? Peut-on juger une pintade seulement sur sa couleur?
Enfin pour en revenir à nos trolls, je salue leur performance et leur énergie. En 1h30 de voyage à peine, je serais bien incapable d'en faire autant. A part pour ce qui concerne les allers retours aux toilettes peut-être.
Ceci étant, je ne leur jette pas la pierre, ce ne sont que des trolls. Le train c'est l'aventure! Comment rester en place? Moi non plus je n'étais pas une petite troll modèle, loin s'en faut! Petite fille, lorsque je me rendais à Metz chez mes grands parents, le trajet ne durait pas 1h30 mais 3 bonnes heures en compartiment fermé. Rétrospectivement, je réalise que j'ai dû en réjouir des voyageurs de commerce avec mes Barbie, mes Pif Gadget et mes Scoubidous !
Quand on y pense, tout ça c'est une question d'éducation. Ce sont les parents des trolls qui sont mal élevés. Non mais sans blague! Ils se croient tout permis ces parents! Ils croient qu'ils peuvent lire leur journal, dormir, bosser sur leur ordi ou passer un coup de fil sur la plateforme et laisser leur petit troll livré à lui-même, en liberté dans le wagon avec un Tom-tom et Nana, une tablette et deux Pepito? Parfois, dans un accès d'autorité, l'un d'eux s'écrie : "Tiens toi tranquille!!! Tu n'es pas tout seul!" pour que tout le wagon entende bien comme il est un parent consciencieux.
La palme revient sans doute à cette maman dont le bébé pleurait dans le train vers Montélimar. J'étais assise dans l'un des espaces de quatre places avec deux autres voyageurs. La dame s'est levée, nous pensions qu'elle allait le promener, le nourrir, peut-être le changer dans l'espace dédié.... non! Elle a tout simplement changé la couche de son nourrisson sur la table devant nous, ahuris....  et dégoûtés!!
Quand je vous dis que ce sont les parents! C'est vrai que je n'ai pas de troll. Mais tout de même, j'ai le sens de l'observation. Et dans les trains, je croise parfois des trolls sages comme des images. Ils ont un point commun : leurs parents sont très bien élevés. Je veux dire que pendant le voyage, ils s'occupent principalement de leur troll et non pas d'eux-mêmes. Ils lui racontent des histoires, ils jouent avec lui ou regardent un dessin animé, et le petit troll ne s'ennuie pas, il est sage. Résultat, les voyageurs ont la paix. Si tant est que leur voisin n'écoute pas Maître Gims à bloc dans son casque audio ou qu'il ne téléphone pas à son laboratoire médical pour connaître les résultats de ses analyses d'urine.
Accessoirement, les voyageurs peuvent même en profiter pour revoir leur texte tranquille et éviter d'avoir des trous de mémoire pendant toute la représentation du soir... 

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