109. Sur le pont !

Me voici une fois de plus en direct du Festival d'Avignon. Les immeubles sont à nouveau recouverts d'affiches colorées, les rues sont jonchées de flyers et les avignonnais râlent. A midi, les terrasses des restaurants sont bondées et on trouve des menus pour toutes les bouches de 12 à 30€. A toutes les tables les festivaliers hésitent entre le tartare de tomate et le saumon mozzarelle tout en explorant consciencieusement le kilo de spectacles que leur a remis la Maison du Off en échange de leur Carte du Festival (14 €). Grâce aux (malgré les ?) parades qui se succèdent plus ou moins bruyamment, ils cherchent leur bonheur culturel Suite Française  au Balcon (15€) ou Elle est folle mais on la soigne au Laurette Théâtre (15€) ? Difficile en effet de s'y retrouver entre 1538 spectacles, quand le meilleur et le pire du théâtre et désormais du théâtre musical, du clown, du jeune public, de la marionnette, de la chanson, des humoristes, et même des mentalistes musicaux (!) se côtoient sur les pavés de la Cité des Papes. Sans compter les têtes d'affiches et les Molière qui s'invitent au programme et qu'on aimerait bien ne pas manquer si on se dégotte une place.
Côté IN, on fait la gueule. A l'heure des dérives de l'Aquarius et des cages de Trump, les enfants morts à la Cour d'Honneur de Thyeste divisent. Enfin c'est tout de même mieux que ce Peer Gynt à poil sur fond de techno de l'an passé, là-dessus tout le monde s'accorde. Et puis faire la gueule pour le public du IN, c'est une sorte de tradition. D'autant plus lorsqu'on est obligé de faire la queue à quelques mètres de ces ploucs du OFF. Dans la file d'attente (3h50) pour écouter Isabelle Adjani lire Camus (55€), sous un soleil de plomb, on ruisselle de sueur, mais on garde sa dignité : on jette des coups d’œil entendu à ces parades vulgaires, on se pousse du coude et on lève les yeux au ciel. On s'autorise parfois un sourire en coin. Jamais plus. Décidément, ça devient n'importe quoi ce festival... Y a des marchands ambulants maintenant? On aura tout vu! Si Sa Sainteté Jean Vilar voyait ça!
C'est vrai ça que dirait Jean Vilar s'il nous voyait tous autant que nous sommes faire les guignols sur les pavés de la rue des Teinturiers?  Est-ce que ça le ferait pas marrer un peu? Pas tout peut-être mais bon, dans l'ensemble? Il devait bien avoir un peu d'humour non? Est-ce qu'entre Oppenheimer, Beckett et Racine, il n'aurait pas fait un détour pour découvrir de nouveaux textes ou de nouveaux talents au détour du OFF le Jeannot?
Se doutent-ils ces spectateurs éclairés du IN que nous sommes nombreux les trou(duc..)badours, les sal(es)timbanques, qui serions ravis de jouer Shakespeare, Sarraute ou Tchekhov à la première occasion mais que cette occasion hélas se fait de plus en plus rare et que faire les clowns ne nous déplait pas tout à fait. Qu'il est bien plus vulgaire par exemple de monter avec moult subventions (et à plus de 150€ le siège) Rigoletto avec un ténor qui vous sort son service trois pièces sur un plateau en ouverture du second acte au Festival d'Art Lyrique d'Aix-en-Provence. Savent-ils l'enjeu financier qu'il représente pour nos petites compagnies en survie ce Festival d’Avignon? En moyenne 21500€ (Source : Enquête réalisée en 2013 par le Bureau du OFF), le plus souvent à perte avec quelques miettes de subventions pour les plus chanceux. C'est cher mais c'est aujourd'hui le tarif pour avoir le plaisir de venir importuner les spectateurs de Madame Adjani et pouvoir étaler sa vulgarité aux yeux du monde. Hormis le plaisir de présenter nos spectacles, celui d'aller voir (et avouons-le celui un peu beaucoup de critiquer) ceux des collègues, d'apprécier la qualité des concerts nocturnes de djembé, celle du shit provençal, de nous enivrer d'alcool en exécutant des danses vaudoues jusqu'à des heures indues comme tout intermittent qui se respecte, nous venons accessoirement à Avignon pour séduire de potentiels acheteurs de spectacles, ces vénérables programmateurs dont le budget n'en finit plus de baisser. Oui, honte à nous, si nous venons à Avignon c'est aussi pour vendre notre force de travail, notre talent, notre créativité, alors que la concurrence - plus ou moins bonne - n'en finit plus de croître, et qu'à l'instar de celui l'immobilier le marché du spectacle vivant se casse lamentablement la gueule. Être artiste au Festival Avignon OFF c'est un peu comme être paysan au Salon de l'Agriculture avec son andouille ou son Saint Nectaire dans lesquels on a mis tout son cœur : on se ruine tous les ans pour prendre un stand et en vendre le plus possible, on en vend chaque année un peu moins, mais on revient quand même l'année d'après, gonflé d'espoir que cette fois, ce sera différent, parce que quand même, elle est bonne notre andouille, merde!
Hier, à 17H, la Finale de la Coupe du Monde a eu raison du IN comme du OFF. Bobos et beaubeaufs ont préféré se retrouver devant les écrans de télévision qu'avaient prévu les limonadiers avignonnais. Les rues, les salles de spectacles étaient vides, certains artistes jouaient pour un ou deux spectateurs on congratulait ceux qui dépassaient les 10 sièges. Une catastrophe. Et pourtant ici aussi, on est les Champions!

Quand Jean-Paul Gaultier vient voir Stéphanie de Morano


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