111. C'est que du bonheur !

C'est étrange comme le monde entier a l'air de vouloir qu'on soit heureux. Au Festival d'Avignon, cet été, à tous les coins de rue, on m'invitait à me secouer la glotte et à fuir la morosité ambiante. Je n'ai pas pour habitude de fuir, la morosité comme le reste... A la radio, les humoristes s'empressent d'amortir le moindre choc, la moindre rudesse du monde qui nous entoure. Chez le libraire, les étagères du rayon de développement personnel s'affaissent sous le poids du bonheur :  L'homme qui voulait être heureux, Foutez-vous la paix, il n'est jamais trop tard pour éclore... Que de promesses ! Ma copine S. a quant à elle le bonheur contagieux. Elle a offert autour d'elle une bonne demi-douzaine d'exemplaires de  Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n'en as qu'une et je suis une "heureuse" élue, une candidate potentielle au bonheur. A vrai dire, je n'ai pas très bien su comment le prendre. Du bout des doigts à la limite ? Jusque-là, je trouvais pourtant ma vie relativement satisfaisante. Est-ce que ce cadeau sous-entendait que je n'avais rien compris ? Que ma vie était pourrie ? Qu'il était temps que je demande ma carte Senior? Que je repasse l'épreuve du Bac Philo? Dans le doute, comme je viens de finir un très mauvais roman, que l'auteur de ma nouvelle vie n'a pas l'air d'être Stendhal et que ma nouvelle vie en question se résume à 218 pages (le bonheur a au moins le bon goût d'être léger), j'ai décidé de jeter un œil. Et puis ça m'évitera de me retrouver la bouche grande ouverte le jour où S. me dira avec un sourire extatique de Bouddha sous Tranxène "Alors? Je te l'avais bien dit! Il est où le bonheur, il est où?" Pas dans ta playlist vraisemblablement. 
A défaut de chercher le bonheur dans les salles de spectacles, les librairies ou à la radio, je peux toujours me rabattre sur mon assiette. J'avoue que je suis plus réceptive. C'est du moins ce que m'assurent depuis le début de l'été les magazines féminins après m'avoir asséné le contraire depuis tant d' années. J'avais pourtant bien intégré la leçon : qui dit nourriture dit gras dit prise de poids dit rupture dit célibat dit licenciement dit rupture de bail dit Restos du Cœur dit SDF dit  typhus dit Pont des Arts. Mais en fait non. Les magazines ont changé d'avis, faut suivre. Blacklister la bouffe, ce n'est plus tendance, Beyoncé l'a dit. Manger ça rend heureux. C'est scientifique même que. Soi disant que le bonheur rime avec endorphine, sérotonine et vitamine. On doit pas avoir le même Dico des rimes parce que chez moi bonheur rime avec footballeur, doigt d'honneur et photocopieur. Passons outre mes bien chères Sœurs de la Congrégation du Bikini, manger c'est in  alors gavons-nous sans complexe! Postons beignets de courgettes et gratins de patate douce sur Instagram ! Le Nirvana c'est le gras ! Depuis le temps que je le dis! Sauf que les scientifiques ont fait une petit erreur. Si le bonheur a la rime féminine c'est celle de la cuisine de ma mère, avec son  couscous, le vert-vert de mon anniversaire, sa pâte à pain, son riz à l'iranienne... (liste non exhaustive). 
Mon assiette à la main, en route pour le paradis, j'allume la télé - une fois n'est pas coutume - au risque de frôler l'overdose de bonheur.  Car dans les pubs aussi, les vieux dégoulinent de bien-être. Ils n'ont ni cholestérol, ni hypertension et font du jogging en couple au soleil sans faire le moindre AVC.  Les femmes à la trentaine épanouie font du stretching malgré leurs règles en legging jaune paille, le brushing et le maquillage impec'.  Les familles modèles se réunissent autour du petit déj' dans des jardins fleuris d'hortensias bleu pervenche et ne s'engueulent pas devant les gosses au sujet de la garde alternée ou de savoir qui va garder la maison... 
Cette course au bonheur me laisse perplexe. C'est une maladie honteuse la mélancolie ? C'est sale le vague à l'âme ? Les disputes ? La colère ? Le blues ?
Depuis son divorce, S. essaye de recoller les morceaux de sa vie disloquée. Elle est en cure permanente de Happy thérapie, elle prend des médicaments sur et sans ordonnance, des anxiolytiques aux opiacées en passant par la mélisse, la valériane et les géraniums... Elle a lu des bouquins, marché sur des pierres chaudes, fait de l'aquathérapie, de la  jardinothérapie, de la kiwithérapie... Je m'avance peut-être, mais elle ne m'a pas l'air plus heureuse. Un peu plus chiante peut-être ? Si j'osais je dirais même qu'elle est bien triste sa course au bonheur... Si cette quête l'apaise, comment se fait-il qu'elle s'agite autant pour convaincre son entourage que son taux de bonheur grimpe en flèche ? Pour ma part, j'ai testé la barbecue thérapie, l'apéro thérapie, la bouquino thérapie et la piscino thérapie... Certes, j'ai le blues quelquefois, je pleure à l'occasion, je crie éventuellement et je ne suis pas heureuse tous les jours de l'année mais tant mieux... je crois. 
Au final, la vie c'est comme la cuisine non ? Tu goûtes le sucre, tu goûtes le sel.... Et puis tu doses... Parce que l'un sans l'autre à quoi ça sert ? Comme disait ma grand-mère Tes yeux font balance... Faut juste faire attention, parfois ça manque juste un peu de piquant ! 

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