143. Histoire d'eau

Toute la pluie tombe sur moi, la da di, la di la la.... Enfin toute... j'exagère un peu. D'ailleurs, ce n'est pas exactement de la pluie. Et puis, elle ne tombe pas exactement sur moi. Très précisément, il s'agit d'une fuite qui inonde ma cuisine. C'est beaucoup moins poétique. Et beaucoup moins musical. Alors, pour garder le moral, je fredonne avec flegme et élégance (et Sacha Distel) La da di, la di la la... Mais le flegme et l’élégance, ça a ses limites. Surtout lorsqu'un troisième dégât des eaux vient sinistrer mon plafond. Je sais bien qu'après la pluie vient le beau teeeemps... Tu parles! Moi, ce que je sais surtout, c'est qu'après la pluie viennent les taches, les cloques, les craquelures et que je vais encore devoir poireauter des mois pour tout remettre à neuf. Je me demande d'ailleurs si à défaut du ciel, le plafond ne va pas finir par me tomber sur la tête un de ces jours ? La da di, la di la la.... Bon, le flegme et l'élégance, ça va bien ! On n'est pas des grenouilles, on n'aime pas l'eau, On n'est pas des grenouilles ni des crapauds ! C'est Sacha Distel ça aussi. On est loin de Sinatra, ce n'est pas ce qu'il y a de mieux dans sa discographie, certes. D'autant qu'ils s'y sont mis à deux avec Gainsbourg pour pondre ce chef-d’œuvre de  rimes en ouilleJe soupçonne qu'ils devaient être eux-mêmes passablement imbibés... Tout comme les costumières engagées pour habiller les danseuses de cette obscure performance télévisuelle. Soit dit en passant, lesdites danseuses ont dû se réjouir de conserver leur anonymat à défaut de leur dignité...

 
 
Tout ça pour dire, qu'il y a encore une fuite chez ma voisine. (J'avais initialement écrit ma voisine a une fuite, mais en relisant, je réalise que ce n'est pas très chic. Surtout lorsque l'on sait que Ruby a quatre-vingt deux ans.)
Ruby est américaine. Elle vient de New-York. C'est une vieille dame toute petite avec des yeux bleus coquins, des cheveux blancs coupés courts et qui fume comme le carburateur d'une Harley Davidson. Quand je monte chez elle prendre un café (ou constater une fuite), une puissante odeur de tabac envahit mes poumons dès qu'elle ouvre la porte et je mets un peu de temps à m'habituer. 
Chez Ruby, il n'y a pas de téléviseur, pas d'ordinateur, pas de tablette, pas de micro-ondes, pas de plaque à induction, pas même une cafetière électrique. Les murs jaunis sont couverts de bibliothèques dont les étagères croulent sous des livres en français, en anglais et en hébreu. Des piles de papiers manuscrits recouvrent la table de son salon. Un drap et une couverture peluchée couvrent son petit lit une place en bois. Ruby a quatre-vingt deux ans et son appartement ressemble à celui d'une étudiante de 1982. Il est d'ailleurs probable que la dernière révision de la plomberie et de l'électricité de son domicile remonte à cette époque. Mais cela ne semble pas préoccuper le propriétaire de Ruby. Qu'une prise électrique soit scotchée au mur près d'une arrivée d'eau, que le raccordement des toilettes soient plus entartré que la grotte Lascaux, que des fils électriques pendent au mur, qu'il n'y ait pas de robinet d'arrivée d'eau, bref  l'entretien de son patrimoine immobilier et le confort de Ruby (et accessoirement le mien) semblent être le cadet de ses soucis. A la suite de la fuite référencée 5129944 auprès de mon assureur (autrement dit la fuite n°2 dans mes dossiers personnels, celle qui a sinistré  le plafond de ma chambre et celui de ma salle de bain), le plancher de Ruby s'est gondolé mais elle, beaucoup moins. A force d'absorber l'eau fuyarde de son chauffe-eau qui doit dater d'une ère ou Giscard jouait encore de l'accordéon, les lattes se sont soulevées d'environ deux centimètres. Depuis Ruby manque régulièrement de se fracturer le col du fémur en tombant sur le carrelage fissuré de sa cuisine archaïque. Ce détail ne semble pas non plus chiffonner son propriétaire outre mesure.
Ruby est une ancienne interprète. A son âge, elle est restée très active, toujours le nez plongé dans un livre, en route pour une conférence, militant pour une cause ou une autre, ou en voyage au bout du monde. Pourtant, quand il s'agit de ses tracas quotidiens, elle devient une vieille dame complètement dépassée qui appelle son fils - et son ordinateur ! - pour prendre le relais. Et, lorsque je lui fais valoir qu'en échange du loyer son propriétaire est supposé lui fournir un logement décent, elle a ce petit sourire gêné et  me répond qu'elle ne veut pas l'embêter avec ses petits problèmes... 
Que Ruby se rassure, après trois dégâts des eaux, je n'ai aucun problème à l'embêter moi-même avec mes gros problèmes d'infiltration, d'humidité, de moisissure et d'assurance ! O la belle vie... sans soucis... sans problèmes...

Commentaires

  1. C'est vrai que la prestation chorégraphique des vertes grenouilles vaut son pesant de cacahuètes !
    Toujours aussi drôle de te lire, et je compatis à tes malheurs.
    Des bises . Stéphanie (R)

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire