153. Comédie club

Je veux qu'on soit sincère et qu'en homme d'honneur
On ne lâche aucun mot qui ne parte du coeur. 
Alceste, Acte I, Scène 1

Il y a une vingtaine d'années, alors que j'étais sur les bancs ou plutôt le plateau de mon école de théâtre, Le Misanthrope faisait résolument partie du top trois des scènes présentées par mes camarades. Quai Ouest  et  Andromaque complétaient ce trio dramatique à tous points de vue ! Sans avoir jamais travaillé aucune de ces œuvres, je peux aujourd'hui encore citer certains passages par cœur  rien que pour avoir assisté aux présentations de mes camarades.

Pour ma part, j'étais élève dans la classe de Madame Françoise Seigner de la Comédie Française. Ce n'était pas franchement une rigolote et j'étais très impressionnée. Pour ma première scène, j'avais eu la folle idée d'incarner la rebelle Antigone de Anouilh.

Je veux savoir comment je m'y prendrais, moi aussi, pour être heureuse. Tout de suite, puisque c'est tout de suite qu'il faut choisir. Vous dites que c'est si beau, la vie. Je veux savoir comment je m'y prendrai pour vivre. 

Je n'ai jamais su ce qu'elle avait pensé de mon  interprétation. Madame Seigner s'est contenté de m'asséner ce commentaire, encore intact à ma mémoire :

 " Ce n'est pas pour vous, Mademoiselle. Avec votre physique, n'espérez pas jouer d'autres rôles que les servantes ou les soubrettes. Armez-vous de patience, ce sont de beaux rôles mais il faut savoir les attendre... " 

Avec elle, j'ai donc travaillé Dorine, Toinette, Michette ou encore la Nourrice de Juliette... En gros, plus ou moins tous les rôles qu'elle-même avait joués. En sortant de l'école, je n'ai rencontré personne en revanche j'ai scrupuleusement suivi ses conseils : je me suis armée de patience et en attendant que mon heure vienne, j'ai joué les figurantes, puis des petits rôles, des moins petits, des jolis, des moins jolis, des que j'avais écrits... Mais au bout du compte, ces fameux " beaux rôles  " je les attends encore. Pour être honnête, le plus difficile n'a pas été de savoir les attendre, mais de pouvoir les attendre... Madame Seigner n'étant plus de ce monde, je ne peux hélas pas lui faire part de ces considérations sémantiques et c'est bien dommage.

Je passe donc la cinquantaine (demain) et bon, c'est vrai, Françoise Seigner n'avait pas tout à fait tort, exercer ce métier s'avère de plus en plus tendu. Je me demande même parfois si ça ne tient pas un peu du masochisme... Nonobstant ! Telle la moule au Mont Saint-Michel, je m'accroche et attends patiemment de briller non pas sur un plateau de fruits de mer, mais tout du moins sur un plateau de théâtre quelconque, je ne suis pas difficile. D'ici là, puisque je ne suis pas sur scène, j'en profite pour courir inlassablement les salles de théâtres. Et lorsque Le Misanthrope est à l'affiche, je cours deux fois plus vite. Allez savoir pourquoi... En fait si, je peux vous dire pourquoi : je ne me lasse pas de cette pièce ! Je l'adore ! Lorsque mes camarades travaillaient Alceste, Philinte ou même Oronte, je murmurais leur texte en même temps qu'eux... J'aurais voulu être un garçon pour pouvoir présenter ces scènes-là moi aussi... Bien sûr, il y avait Célimène avec ses allures de chatte mutine mais elle m'agaçait et même si Arsinoé m'amusait il aurait été inutile de songer à jouer l'une ou l'autre vu l'emploi que m'avait assigné Madame Seigner.

Bref, le temps a passé et mon inclination pour ce texte n'a jamais faibli. Alors peu importe ce que disent les critiques : que la mise en scène est mauvaise ou que les acteurs sont moyens, à moins bien sûr qu'il ne s'agisse d'une obscure adaptation musicale (Molière l'opéra urbain ? Allo ? La police des spectacles ?), je fonce prendre ma place. Et lorsque la mise en scène est belle, et les acteurs bons, j'exulte. Je me rappelle par exemple, le seul en scène Entre autres de Jean Rochefort. Entre autres en effet, il interprétait - seul donc - la scène d'ouverture entre Alceste et Philinte. J'ai simplement regretté qu'il ne joue pas toute la pièce ! 

Tout ça pour dire que je suis allée applaudir la reprise de la jolie mise en scène de Clément Hervieu-Léger à la Comédie Française. Il y avait la scénographie d'Eric Ruff un peu triste avec ce grand lustre, ce piano, ces volets qui rappelaient Tchekhov... Il y avait les merveilleux Loïc Corbery et Eric Genovese, mélancolique Alceste et affable Philinte... Il y avait le sonnet d'Oronte... Il y avait Molière... Drôle, cynique, cruel, moderne, intemporel... Enfin... il y avait le théâtre et c’était beau.

Pour représenter le monde entier, il faut la petitesse du théâtre
Antoine Vitez   

Chère Madame Seigner, en 2024, plus que jamais je continue d'attendre... de pieds fermes ! Merci pour tout ce que vous m'avez appris, malgré vos réflexions cinglantes...

 


Commentaires

  1. Bravo ma Stef, quelle belle énergie :-)

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    1. Merci à l'inconnu(e?) qui se cache derrière ce gentil message ! Je me permets des grosses bises ! :D

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