105. Crise de neige

Je reviens de vacances. Enfin je reviens. Y a trois semaines déjà. Huit jours de repos, de bien être, de dépaysement total et parfaits. Plage? Farniente? Tropiques? Que nenni ! C'est en Suède que je suis partie, ce pays dont Strindberg, Bergman, Vilhelm Moberg, Henning Menkell et Ikéa m'ont tant fait rêver. Un voyage en plein cœur de l'hiver, entre le cristal et le verre comme dit l'autre. C'est chouette quand un rêve devient réalité. En mieux. J'ai fait le tour d'un archipel, j'ai mangé du hareng, j'ai gravi des tertres funéraires enneigés que j'ai dévalés avec une joie enfantine sur les fesses, j'ai marché sur un lac, j'ai dégusté des kanelbulle, j'ai vu des rennes et des loups, j'ai fait du patin, je me suis baignée dans un lac gelé, j'ai couru me réchauffer dans un sauna avant de recommencer (!) et puis je suis rentrée, heureuse d'avoir vu de mes yeux un pays où je n'avais voyagé qu'à travers les pages de mes auteurs fétiches. Je suis rentrée, apaisée, ravie, enrichie, charmée pour retrouver... la neige! Mais ici, la neige, le froid, le verglas, les bonnets, les écharpes et le thé bien chaud, ça ne me fait pas, mais alors pas le même effet du tout! Ça perd en poésie voyez-vous. J'ai beau me souvenir que Victor Hugo mitraillait la pauvre Fantine de boules de neige, que Zola faisait traverser une tempête de neige magistrale à la Bête Humaine, que Flaubert et Rodolphe prenaient un malin plaisir à faire poireauter Emma, désœuvrée au point de regarder tomber les flocons normands derrière sa fenêtre, le charme n'est pas le même... 
Vous pourriez me répondre, philosophe que vous êtes, la neige c'est de la neige. A Paris comme ailleurs. Évitez. Parce que si c'est tout ce que vous avez pour alimenter cette conversation, alors on  frôle l'anémie verbale ! Que les choses soient claires, contrairement à la majorité des trois clients matinaux du Café Martin, je ne vais pas ici me plaindre de la gadoue dégueu qui bousille vraisemblablement les bas de pantalons et fait rouiller les chaînes de scooter (!!) et que le langage populaire désigne par bouillasse. Nos amis québecois préfèrent le terme névasse quant à nos amis Suisses (enfin ma pote Salomé) ils sembleraient avoir opté pour l'énigmatique papotche. Enfin tout ça c'est bonnet blanc et blanc bonnet - c'est le cas de le dire -  puisque ça n'est jamais qu'une espèce de soupe de neige marronasse qui couvre trottoirs et chaussées après les passages cumulés du redoux, des pneus, des piétons, des crachats, des déjections (canines et autres), et d'éventuels restes de kebab. Avouez que pour l'inspiration romanesque ou poétique, il y a plus stimulant. Quoique? Dickens ou John Fante auraient bien été du genre à faire leurs choux gras d'un(e?) bon(ne?) papotche!  Sauf que la neige à Paris, ce n'est pas (que) ça. Avant la bouillasse, c'est d'abord cette épaisse couche de meringue sur les allées et les tombes du Père Lachaise, les gargouilles de Notre-Dame, les bancs publics et les Autolib' tandis que l'hiver saupoudre inlassablement ses flocons cotonneux (on appréciera le lyrisme).  Mais après quelques jours de cette jolie meringue, de ce vacherin éphémère et rare, la joie des enfants retombe et l'humeur des citadins s'assombrit tandis que fleurissent pénis et insanités au détour des pare-brises.
La neige de Suède était pour moi toute à la fois attendue, naturelle, romanesque, implicite et étrangement, rassurante, apaisante et revigorante. Oui, je sais ça fait beaucoup, mais j'aurais été déçue qu'elle ne soit pas au rendez-vous. A Paris, alors qu'elle s'annonce à nouveau, j'ai l'impression qu'elle voudrait prolonger sa visite comme une cousine de province, qu'elle s'incruste et je m'inquiète de la voir de s'installer durablement. Elle me rappelle que le printemps est encore loin et derrière ma fenêtre, je compte les jours qui me séparent des premières jonquilles du Square Joseph de Champlain comme Emma Bovary comptait ceux qui la séparait de Rodolphe...

 
Gamla Uppsala

Paris

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